L’objectif de la relaxation coréenne est de permettre le lâcher-prise. C’est en prenant conscience qu’il peut lâcher, qu’il peut faire confiance à l’Autre (représenté pendant la séquence par le praticien) et en expérimentant ce lâcher-prise dans son corps, que le patient décuplera sa détente.
Contrôler, ou s’abandonner.
La volonté de tout contrôler – souvent une forme atténuée de la névrose d’angoisse – se lit dans le corps. Cette attitude mentale s’accompagne notamment de crispations au niveau des articulations, engendrées par un tonus musculaire excessif. Elle se révèle par l’impossibilité de se laisser manipuler passivement, sans reprendre l’initiative du mouvement, soit pour s’opposer (enfant rebelle ou parent normatif incapable de souplesse), soit pour aider le praticien en anticipant ses gestes (enfant adapté ou parent nourricier fermé à l’accueil de son propre plaisir).
La relaxation coréenne vient dire par le geste et la présence: « Tu peux abandonner, l’espace d’une séance, cette volonté de tout contrôler. Tu peux sentir comment c’est, de vivre l’absence de tension, dans chacune de tes articulations». Et elle ajoute: «Si c’est impossible pour toi de le vivre complètement, respecte cela, respecte les peurs, les tristesses, les colères qui sont derrière. Mais sens que par moment ou par endroit, tu peux aussi ne rien faire, ne pas agir, et sens comme c’est bon».
L’attitude du praticien.
Pour permettre ce «décrochage» chez le receveur, le praticien soigne sa qualité de présence. Dans l’idéal, sa présence devrait être absolument constante dans son intensité. Chaque rupture de la relation peut faire revivre au patient une situation d’abandon. Chaque inattention du praticien va légitimement amoindrir la confiance qui s’installe, et nuire du même coup à l’objectif de la relaxation.
Cette présence, par sa qualité, soutient le receveur, l’accompagne dans une prise de conscience qui peut être émotionnellement difficile pour lui. Pour cela, le praticien est nécessairement enraciné, centré, très en lien avec la terre et avec son propre corps. Il se place dans une empathie raisonnée: il sent ce que ressent l’autre sans se laisser happer par l’autre. Pour se protéger, et pour rester efficace, il évite de se laisser gagner par les tensions ou les résistances de son patient… mais il comprend ces blocages, les respecte et compatit aux douleurs qu’ils entraînent. C’est en accueillant ces tensions, en leur laissant une place, en leur donnant le temps de dire leur sens, qu’il aidera le receveur à les résoudre. Une attitude qui consisterait à lutter contre, à vouloir pour l’autre obtenir une détente contre lui-même, ne déboucherait que sur un renforcement des résistances. Le praticien s’approprierait alors ce qu’il cherche à atténuer chez l’autre: la volonté de tout contrôler.
Pour guider son geste, le praticien a une connaissance intuitive du mouvement et des amplitudes articulaires qui se fonde sur son expérience. Il puise dans la conscience de son propre schéma corporel, pour créer le mouvement qu’il induira chez le receveur. S’il suivait un plan à la lettre, s’il appliquait trop scrupuleusement des techniques d’étirement, il perdrait le contact, au profit du mental, au détriment d’une relation corps à corps.
La relaxation coréenne est une incitation douce au relâchement en accueillant ce qu’il en sort, sur le plan émotionnel notamment. Une complicité forte entre un receveur qui donne à voir son intimité et un praticien qui sait la respecter.
Ce qui peut se passer au cours d’une séance.
La sensation de lâcher-prise progressif est différente d’un abandon subit et global dans lequel la personne accepte d’un coup de lâcher une peur, comme par exemple dans le cas d’un saut à l’élastique. Le lâcher-prise progressif pointe la difficulté dans chaque partie du corps. A chaque nouvelle étape, le receveur, incité à habiter son corps plutôt qu’à le fuir, ressent la tension, la difficulté éventuelle de lâcher, puis l’extase du relâchement. A chaque articulation, il peut être ramené à une séquence de sa vie. Sans forcément prendre conscience de ce qui se joue, il abandonne ici la peur d’un moniteur de ski qui l’a bloqué dans son apprentissage, là, la crispation de devoir écrire vite, ailleurs, la croyance d’avoir dû se taire, ailleurs encore, sa crainte exagérée de la mort. Parfois, le lien entre la tension et l’histoire monte à la conscience du receveur. C’est alors que l’émotion d’abord floue et envahissante se pose sur des souvenirs, se précise pour se distancier et libérer plus complètement le mouvement, désinscrivant les traces de l’événement sur les tissus.
C’était le cas, par exemple, pour cet homme d’une trentaine d’année dont le bras droit n’atteignait jamais la souplesse du bras gauche. Lorsqu’il a pris conscience que cette tension permanente continuait à le protéger des coups de son père qu’il ne recevait plus depuis vingt ans, il a pu lâcher son bras comme jamais. Mesurant l’obsolescence de ce système de protection, mais comprenant l’utilité qu’il a eu jadis, il peut lui rendre grâce et s’en défaire. L’expression de l’émotion aide à faire le deuil de ce handicap qui l’a accompagné si longtemps, comme un ami fidèle mais encombrant. Comment lâcher cette caractéristique de Soi, si ancrée dans le corps qu’elle fait partie de l’identité? L’extase du relâchement expérimenté dans la relaxation coréenne donne un échantillon de ce qu’il est possible de vivre, une nouvelle référence de ressenti corporel que le corps enregistre, et sur laquelle il se fondra à l’avenir.
Parfois, des émotions archaïques surgissent à l’occasion de ces prises de conscience. Certaines, plus identifiables (la peur, la colère, le désespoir…), se manifestent par des suées, des vomissements, des sanglots… Paradoxalement, c’est la douceur de la technique qui la rend douloureuse. Elle laisse le temps de prendre conscience, elle confronte à l’étendue de ce que l’on s’impose, comme si l’on éclairait peu à peu les murs de la prison qu’on s’est construite.
Jusqu’où aller dans l’émotion : accueillir ou éviter.
Si la personne qui reçoit est déjà très «fluide», par la qualité du travail qu’elle a fait sur elle-même (aspect psycho-émotionnel) et par sa souplesse et sa mobilité (aspect physique), elle n’aura pas de mal à se laisser glisser dans l’émotion car elle saura en jouir. Vivre l’émotion, lorsque celle-ci est fluide, c’est le plaisir même d’exister.
Si la personne est en souffrance, il en est autrement car l’émotion, au lieu de couler, stagne. Elle se bloque, en général là où les tissus sont les moins souples. Elle butte sur des os durs, des muscles bétonnés, des fascias sans souplesse qui ne répercutent plus l’onde émotionnelle. L’intensité de la charge émotionnelle n’est pas répartie dans l’ensemble du corps, elle ne peut non plus s’extérioriser facilement. Elle peut devenir insupportable. Mais c’est aussi cet insupportable qui va être le moteur du changement.
Comme praticien, il y a deux attitudes adoptables par rapport à la montée émotionnelle. Elles sont toutes les deux justes, mais opposées. La première consiste à «calmer le jeu» dès les premières manifestations émotionnelles. La seconde accompagne la personne jusqu’au bout de ce qu’elle a à vivre. Ce qui serait le moins juste, c’est la position intermédiaire, lorsque le praticien laisse prendre un feu qu’il ne sait ni éteindre, ni guider vers sa résolution.
Dans la première démarche, on fait confiance à la pratique corporelle. Elle est suffisante, en elle-même, pour apporter de petites résolutions. Et l’on sait que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Le travail s’effectue de façon très subtile, dans le respect absolu des résistances du receveur. Lorsque le praticien sent un blocage, il constate simplement la limite, puis il recule. Avec le temps, à l’occasion d’une nouvelle séance, il perçoit souvent une amélioration, sans avoir eu à intervenir davantage: c’est la structure du receveur qui s’est adaptée, guidée par l’intelligence du corps et sa capacité à s’auto-guérir.
Dans la seconde démarche, on cherche plus la révolution que la réforme. Le praticien se sent plus maçon qu’horloger. Il doit avoir les compétences d’un psychothérapeute puisqu’on entre dans la dimension somatothérapeutique du travail corporel.
Le respect de la résistance n’est plus «géographique». Il est dans la reconnaissance de son utilité passée. Mais il s’accompagne d’un questionnement sur sa pertinence présente. Le message implicite dans le geste du somatothérapeute est de cet ordre: «D’accord, à un moment de ta vie, il a été vital pour toi de mettre en place ce système de protection. Mieux: c’est sans doute le meilleur que tu avais à ta disposition. Aujourd’hui, avec tes nouvelles ressources, n’est-il pas possible de l’abandonner? Ecoute comme il te pèse, fais le bilan et vois s’il n’est pas temps de le lâcher ». Sans brutaliser à outrance cette résistance, on la taquine pour voir comment elle réagit. Souvent, elle commence par se renforcer physiquement, devenant aussi plus douloureuse (phase de colère). Son utilité, au regard de l’énergie croissante qu’elle consomme apparaît alors de moins en moins évidente. Elle ne tient plus que par l’envie de ne pas lâcher. Puis elle lâche (phase de tristesse) dans une grande libération.
Le choix de la première attitude ou de la seconde doit être clair. Il est porté par le cadre dans lequel on se place. Le cadre doit être explicitement posé lors des premiers entretiens avec le patient. Le praticien en est le garant et le protecteur. Au besoin, il le rappelle en cours de travail, soit par ses mots, soit par son positionnement corporel. Il évite de se laisser piéger par la relation, en s’efforçant d’être conscient des transferts et contre-transferts qui se jouent. Cette capacité s’exerce notamment en supervision.